Photo: Anouk Antony

RTL a détenu le monopole de la radio au Luxembourg pendant des décennies, et c’est précisément ce qu’elle souhaite récupérer. Poussée par des intérêts commerciaux, RTL est également en train de démanteler des émetteurs.

Avec la loi sur les médias de 1991, rendue nécessaire par une directive européenne, le monopole de RTL sur les fréquences radio a été brisé pour la première fois au Luxembourg. Un choc pour la seule station de radio luxembourgeoise jusqu’alors. À l’international, RTL souhaitait précisément cette libéralisation de la radio afin de briser le monopole des médias de droit public dans d’autres pays européens et de pouvoir faire de bonnes affaires avec les médias commerciaux. Mais au Luxembourg, RTL n’a pas voulu renoncer à ses propres privilèges. Depuis lors, RTL se bat au Luxembourg avec toutes sortes de stratagèmes pour récupérer son monopole.

Les monopoles médiatiques sont un poison pour la démocratie et le pluralisme d’opinion. Chaque année, le Luxembourg reçoit un carton rouge dans le Media Pluralism Monitor de l’UE. Cela n’a rien changé : nous sommes Européens, nous sommes Luxembourgeois, selon et si cela nous convient. Cependant, ce ne sont pas seulement les valeurs européennes qui sont bafouées, mais aussi les lois nationales. Comment RTL a-t-elle pu et peut-elle encore s’affirmer ?

La liste des stations de radio est courte

Historiquement, et encore aujourd’hui, pour exploiter une station de radio „nationale“ au Luxembourg, des fréquences FM étaient nécessaires – et elles sont rares. Jusqu’en 1991, toutes les „bonnes“, c’est-à-dire les fréquences nationales, étaient aux mains de RTL. D’autres stations, comme „Radio Grénge Fluesfénkelchen“, prédécesseur de Radio ARA, étaient essentiellement des stations pirates diffusant illégalement et devant même le faire depuis l’étranger. En 1992, RTL a libéré cinq fréquences, et des alternatives sont finalement apparues : outre Radio ARA (qui recevait deux fréquences très faibles), on compte DNR, Radio Latina et Eldoradio. Radio 100komma7 a été la première à rejoindre le réseau plus tard, après une longue dispute, et a même été la première à être incluse dans le programme de l’après-midi de RTL. Avant que 100komma7 n’obtienne sa fréquence, RTL a clairement indiqué que ce concurrent potentiellement dangereux n’était pas autorisé à diffuser de publicités, ce qui excluait tout danger, du moins sur le marché publicitaire.

Eldoradio

Eldoradio est une société privée, connue sous le nom de „Luxradio S. à r.l.“, détenue par de nombreux actionnaires. Il s’agissait initialement de Voyages Flammang, de Polygraphic Services International S.A., de Soparad Holding S.A., mais aussi du Magazine (qui devint plus tard une partie d’Editpress, à savoir „Tageblatt“) et même de l’éditeur de „Lëtzebuerger Land“ (Source : Agefi, 2000).

En 1998, la CLT-UFA, la société à l’origine de RTL, entre au capital de Luxradio S. à r.l., soit Eldoradio, et reprend progressivement de plus en plus d’actions de cette station concurrente. La dernière action a été rachetée par RTL en novembre 2019, de sorte que cette société appartient désormais à 100 % à CLT-UFA. L’autorité de régulation ALIA, censée défendre le pluralisme des médias, a commenté ce processus en déclarant qu’aucune base légale ne s’opposait à cette transaction.

DNR, RTL2 et L’essentiel Radio

„Den neie Radio (DNR)“ était initialement le concurrent le plus prometteur de RTL, tandis que Saint Paul Verlag, l’entreprise à l’origine du „Luxemburger Wort“, était le principal concurrent média de RTL derrière DNR. Au fil des ans, RTL a cependant réussi à dominer le marché publicitaire au Luxembourg, principalement grâce à sa propre propriété intellectuelle, à tel point que DNR n’a pas pu tenir le coup et que le Luxemburger Wort, lui-même en proie à la crise de la presse, a cherché un moyen de mettre fin à ce projet. RTL attendait apparemment ce moment précis et a mis sur la table le projet d’une station de radio francophone appelée „RTL2“, mais cette proposition a été bloquée par l’ALIA car elle aurait complètement modifié le mandat prévu dans le contrat de concession initial de la DNR et aurait étendu l’audience de la station à des personnes extérieures au Grand-Duché. Ce fut la fin de la DNR, et un message de clôture a été publié, dans lequel la domination de RTL était citée comme l’une des raisons de sa disparition.

Cependant, les tentatives de RTL pour reprendre le contrôle des fréquences et conquérir le marché francophone ne s’arrêtaient pas là. Peu après, en 2016, la société „Radiolux S.A.“ était fondée et sollicitait l’une des fréquences DNR. CLT-UFA en faisait partie et détenait 25 % des parts. Bien que l’ALIA ait imposé des conditions particulières pour séparer cette nouvelle station de radio de RTL en termes d’organisation et de contenu, RTL a finalement obtenu son siège à la table des négociations. En 2019, Essentiel Radio a obtenu une autre fréquence ouverte et, comme le souhaitait RTL, a une fois de plus empêché l’émergence d’une concurrence potentielle.

Radio ARA et ARA City Radio

Radio ARA, ou la société d’exploitation „Alter Echos S.A.“, est la seule „radio libre“ du pays. Il s’agit d’une association de radiophiles bénévoles, financée par le programme „Graffiti“ du ministère de l’Éducation nationale, par et pour les jeunes, et par les émissions multilingues d’„ARA International“. Radio ARA a toujours lutté pour sa survie dès ses débuts et était bien trop petite pour que RTL puisse s’intéresser à la station amateur. Radio ARA s’est financée en louant son temps d’antenne, du petit matin à 14 h, à une station commerciale anglophone, „ARA City Radio“.

Alors que RTL prévoyait de créer sa propre station anglophone avec „RTL Today“ à moyen terme, les jours d’„ARA City Radio“ étaient comptés. Plusieurs animateurs de „ARA City Radio“ ont été débauchés par RTL. Face à l’instabilité des recettes publicitaires, ARA City Radio a fermé ses portes en 2020. Radio ARA, qui avait perdu sa source de financement, a dû se résigner et, après une longue période de tergiversations politiques, a pu être sauvée grâce à une subvention de l’État. Grâce au nouvel accord entre la CLT-UFA et l’État, Radio ARA bénéficiera également d’un soutien dans ses propres domaines d’activité, notamment l’éducation aux médias et la coopération avec uni.lu, concurrent de RTL.

Radio Latina

Une station de radio destinée aux communautés italophones, hispanophones et surtout lusophones était urgente au Luxembourg, mais pas forcément lucrative ; elle n’a donc jamais été vraiment intéressante ni dangereuse pour RTL. Peu avant la libéralisation des fréquences, RTL a néanmoins lancé son propre programme en portugais. C’est Felix Braz, futur ministre de la Justice, qui a brièvement animé le journal télévisé de RTL en portugais. Un bref coup de bluff par lequel RTL a tenté de minimiser la nécessité d’alternatives. Mais cela n’a jamais été sérieux. Radio Latina appartient également en partie au groupe médiatique du „Luxemburger Wort“, anciennement Saint Paul, aujourd’hui Mediahuis.

RTL Radio 97.0 & 93.3

Comme RTL Luxembourg, la chaîne allemande RTL appartient à RTL Group et est diffusée depuis Berlin. Tout comme RTL Radio Luxembourg et Eldoradio, IP est responsable de la vente de publicité.

Au total, CLT-UFA détient les numéros 1 (RTL Radio Lëtzebuerg), 2 (Eldoradio) et 4 (RTL Radio 97.0 et 93.3) et détient des parts dans le numéro 3 (L’essentiel Radio). Les radios Radio Latina, 100komma7 et Radio ARA, ne touchent ensemble même pas 10 % du public luxembourgeois et ne représentent aucune concurrence pour RTL.

Y a-t-il plus ?

Mais RTL ne serait pas RTL si elle se contentait de sa domination extrême. RTL sait que le contrôle du marché se résumait déjà à la gestion des fréquences en 1991. Les fréquences encore exploitées en analogique via une antenne deviendront probablement bientôt obsolètes et, selon le ministère des Médias, la technologie „DAB+“ représente l’avenir de la diffusion radiophonique. RTL a donc besoin de contrôler le DAB+, et elle est déjà en train de l’obtenir.

Le multiplex DAB+ sera très probablement mis en place par BCE, qui a déjà réalisé la phase de test pour le ministère. BCE est bien sûr une autre filiale de CLT-UFA. Les places sur le multiplex sont limitées, et RTL est en bonne voie pour élargir son offre au maximum avec les nouvelles webradios „RTL Gold“, „RTL Today“ et „RTL LX“.

Note pour des raisons de transparence : Richtung22, le collectif à l’origine de ce site web, proposait une émission dans l’émission jeunesse „Graffiti“ sur Radio ARA, et deux employés de Richtung22 travaillaient auparavant pour Radio ARA ou pour le projet „Radio Art Zone“. Il n’existe plus de lien direct entre Richtung22 et Radio ARA depuis plus d’un an. Cependant, des membres de Richtung22 continuent de collaborer avec la station sur divers projets.