PEOPLE - Comment Viviane Reding réalise des numéros d'équilibriste intéressants
La bertelwoman

Photo: Lisbon Council (CC BY NC-ND)
Les propositions de Viviane Reding ressemblent à une liste de souhaits des groupes de médias privés au Père Noël.
Un vote historique aura lieu dans l’hémicycle le 3 mai 2022. Pour la première fois, un projet de loi va être voté, avec lequel de l’argent devrait être versé directement à RTL Luxembourg. Bien que RTL soit déjà soutenue à hauteur d’environ 10 millions par an depuis 2020, jusqu’à 15 millions devraient maintenant être versés chaque année pour la période de 2024 à 2030 - une loi de financement est devenue indispensable. Avant le début du vote, Claude Wiseler, Gilles Baum et Yves Cruchten déclarent qu’ils ne pourront pas participer au vote. Ces trois députés font partie du conseil d’administration de la CLT-UFA, groupe auquel appartient également RTL Luxembourg.
Elle a déjà montré à plusieurs reprises que les règles éthiques ne s’appliquent pas à elle : Celle qui restera en fonction et votera pour la loi de financement est Viviane Reding (CSV) - bien qu’elle soit également membre du conseil d’administration de la Fondation Bertelsmann.
La Fondation Bertelsmann est l’une des [organisations de lobbying] les plus influentes d’Europe (https://lobbypedia.de/wiki/Bertelsmann_stiftung) et plaide, entre autres, en faveur de la privatisation des entreprises publiques. Un exemple historique est le travail de lobbying de la Fondation Bertelsmann en faveur de la déréglementation de la télévision privée par la suppression des autorités de contrôle de l’État. Une revendication que Bertelsmann a fait valoir de manière agressive dans le débat depuis les années 2000. La Fondation Bertelsmann possède également la majeure partie de Bertelsmann. La fondation est financée par le groupe, qui comprend également CLT-UFA.
Viviane Reding a voté à la Chambre des députés une loi de financement pour la filiale d’un groupe, pour laquelle elle est directement rémunérée au sein d’un conseil de surveillance. Il n’y a eu aucun commentaire à la Chambre des députés ni dans la presse luxembourgeoise. Quelqu’un a-t-il remarqué ?
Un commissaire aux médias néolibéral
Le fait que Viviane Reding ait été autorisée à voter est une chose. L’autre chose, c’est que Viviane Reding a ironiquement voté une loi qui a donné au plus grand média privé d’Europe un contrat d’État. Partout en Europe, Bertelsmann prône la privatisation, mais au Luxembourg, il aime percevoir des millions directement de l’État et se présenter comme un „service public“. Bertelsmann, mais aussi Viviane Reding, sont connus pour leur position néolibérale dure. Juste avant que Viviane Reding ne siège au conseil d’administration de la Fondation Bertelsmann, elle était encore commissaire européenne.
[Le raid libéral de Viviane Reding“ (https://www.liberation.fr/medias/2005/09/26/television-sans-frontieres-le-raid-liberal-de-reding_533587/) est le titre donné par le journal français Libération à son analyse de la directive controversée “Télévision sans frontières”, présentée par Viviane Reding en sa qualité de commissaire européenne chargée des médias en 2005. Les propositions de Viviane Reding ressemblent à une liste de vœux des entreprises de médias privées au Père Noël : pratiquement plus de limites sur la publicité, plus de quotas pour les productions européennes sur les télévisions européennes, déréglementation du télé-achat.
Et bien sûr : le maintien du „principe d’origine“. Pour les chaînes de télévision, ce sont les règles des pays où ces chaînes sont enregistrées qui doivent s’appliquer, et non celles des pays où elles sont diffusées. Le meilleur exemple de cette pratique est, comme on peut l’imaginer, le Luxembourg. La CLT-UFA luxembourgeoise diffuse vers la Belgique, les Pays-Bas et la France, entre autres, et contourne les lois nationales respectives de ces pays.
Une directive très proche des idées de Bertelsmann
La directive „Télévision sans frontières“ (TSF) a été lancée à l’origine par Gaston Thorn, alors président de la Commission, en tant que „fleuron du marché intérieur européen“ et était donc dès le départ entre les mains du Luxembourg. Après Gaston Thorn , Jean Dondelinger et Jacques Santer, le dossier européen se retrouve sur le bureau de Viviane Reding. Au niveau national, le ministre luxembourgeois des médias Jean-Louis Schiltz s’est préparé à soutenir Viviane Reding. Finalement, les projets de la commissaire aux médias ont coïncidé avec ceux du gouvernement luxembourgeois. Et de la CLT-UFA. Et de Bertelsmann.
Bertelsmann a déjà réagi avec enthousiasme au premier projet de la commissaire Reding sur la réforme de la directive TSF. Dans sa déclaration „Comments on the Commission Consultation on Rules Applicable to Audiovisual Content Services“ (Commentaires sur la consultation de la Commission sur les règles applicables aux services de contenu audiovisuel), Bertelsmann le dit clairement et mentionne personnellement sa commissaire préférée : „Bertelsmann soutient la Commissaire Viviane Reding dans son engagement à maintenir un système réglementaire solide et tourné vers l’avenir pour la télévision transfrontalière“.
Bertelsmann explique en détail pourquoi les propositions de Viviane Reding sont conformes aux idées du puissant groupe de médias. Bravo, Madame Reding. Ou plutôt, bien joué, Martin Selmayr. C’est le nom du porte-parole de Reding pour la politique des médias et chef de cabinet à l’époque. Il défend le projet devant la presse, par exemple, avec l’argument sournois „Le placement de produits ne serait pas une nouveauté“. Martin Selmayr, où travaillait-il avant de travailler pour Viviane Reding ? Ah oui, c’est vrai, pour Bertelsmann, en tant que lobbyiste en chef du bureau de Bruxelles.
Mais avant de juger trop vite : Peut-on reprocher à Viviane Reding d’être idéologiquement sur la même longueur d’onde que l’empire médiatique Bertelsmann ? Viviane Reding a toujours été connue comme une femme politique ferme et souveraine. Est-il injuste que Politico inclue Viviane Reding dans son rapport intitulé „How Europe’s biggest media company infiltrated the EU“ parmi les confidents de Bertelsmann ? Viviane Reding n’a-t-elle pas simplement agi selon ses principes ?
La boucle est bouclée
On pourrait dire que Viviane Reding connaît le mieux le dossier Bertelsmann, où, après avoir été commissaire européenne et avoir siégé brièvement au Parlement européen, elle a retrouvé le chemin de la politique nationale. Actuellement, comme nous l’avons mentionné, elle siège à la Fondation Bertelsmann depuis un certain temps et gagne assez bien sa vie. Étant donné que le CSV n’est pas entré au gouvernement après les élections de 2018, le projet de Viviane Reding de devenir ministre n’a pas fonctionné. Elle poursuivra toutefois son mandat parlementaire et siégera sur les bancs de l’opposition.
Viviane Reding a siégé pour la première fois dans l’hémicycle en 1979 - et y a déjà réussi un exercice d’équilibre passionnant, en étant à la fois députée et journaliste pour le Wort. L’exercice d’équilibriste de 2020 est toutefois bien plus intéressant. La patronne du libre-échange siège à la commission des médias de la Chambre des députés et participe donc non seulement au vote, mais aussi à l’élaboration de la loi sur les subventions publiques accordées à Bertelsmann. Viviane Reding n’a probablement jamais été une idéologue, mais elle soutient Bertelsmann depuis longtemps.