NEWS - Votre station préférée vous cache quelque chose.
Comment RTL couvre les auteurs de violences

Photo: black5_460 (CC BY-ND 2.0)
Battre d’autres personnes et être fêté par le personnel de RTL. Cela n’est possible que si vous avez choisi une profession très spécifique.
Un homme prépare un crime depuis des semaines. Trois hommes en battent un autre. Il y a du trafic de drogue, de l’ivresse au travail et des rapports falsifiés. Toute la presse du pays en parle. Toute la presse ? Non. C’est à peine si RTL consacre une ligne à ces affaires. Que s’est-il passé ? Pourquoi notre RTL cache-t-elle ce qui se passe dans le quartier de la Gare ?
Quiconque a déjà parcouru les „informations nationales“ sur RTL.lu sait que les bulletins de police copiés/collés constituent une grande partie des reportages de RTL. Les reportages sont spectaculaires et assez unilatéraux. De plus, ces articles sont divertissants en raison du langage utilisé par RTL. Par exemple, dans l’article du 21 mai 2023 intitulé „Deux hommes en état d’ébriété agressive ont passé la nuit dans un commissariat de police“, on peut lire : „La police écrit également que deux autres personnes en état d’ébriété dans la ville ont été autorisées à passer la nuit au commissariat de police dimanche“.
Si vous lisez l’article de RTL, vous n’avez naturellement aucune chance de savoir ce qui s’est réellement passé. Les deux hommes qui étaient „agressivement intoxiqués“ étaient-ils aussi ceux qui ont été „autorisés“ à passer la nuit au commissariat de police ? Pourquoi RTL ressent-elle le besoin d’inclure le mot „agressif“ dans son titre ? Après tout, le mot „police“ n’est utilisé à aucun moment dans le reportage (https://police.public.lu/de/actualites/2023/05/semaine-20/passagearrest.html). Et l’une des personnes dont RTL parle ici est-elle aussi celle qui a été battue et gravement blessée par des policiers dans la cellule de détention pendant la nuit ? Ce n’est que quelques mois plus tard que nous avons appris cet incident par le biais de reportages dans le Wort et le Quotidien.
Les autres médias sont responsables du journalisme
Les faits remontent à la nuit du 20 mai 2023. À cette époque, un homme de 43 ans est conduit au commissariat de la gare de la ville et doit passer la nuit dans une cellule de détention. Cependant, 3 officiers de police qui n’étaient pas impliqués dans l’arrestation sont entrés dans la cellule de la personne arrêtée. (https://www.wort.lu/luxemburg/polizisten-sollen-einen-mann-in-einer-zelle-misshandelt-haben/2234887.html) : „La victime aurait subi de graves blessures, qui ont également été consignées dans un certificat par le médecin qui est arrivé plus tard“. Mais si l’on n’avait été informé que par RTL à l’époque, on n’en aurait pratiquement pas entendu parler.
Si l’affaire n’a été connue qu’en juillet 2023, c’est parce qu’un supérieur a ordonné la falsification du bulletin de police - comme le rapporte le journal. Au total, quatre policiers sont en détention préventive. Au cours de l’enquête menée à leur encontre, un réseau de drogue est également découvert au sein du commissariat. L’enquête met également en lumière des détails sur les rituels et la consommation d’alcool au sein du commissariat. L’une des conséquences a été la dissolution de l’unité de police en question.
RTL aime se vanter d’être le média le plus rapide du pays. Elle est généralement la première à signaler un accident et les bulletins d’information de la police font déjà la une des journaux avant que la police ne les publie sur son site web. En règle générale, RTL copie non seulement les rapports de police, mais aussi les communiqués de presse du parquet ou d’autres institutions concernées. Cependant, lorsqu’il s’agit de violence policière, RTL tombe dans une sorte d’attentisme et de minimalisme relativisant.
Début d’un storytelling spécial
Le 10 juillet 2023, le Wort a rapporté dans l’article „Lésions corporelles graves - violence en action : trois policiers arrêtés“ l’arrestation de trois policiers soupçonnés de „lésions corporelles graves et intentionnelles“. Le titre du Tageblatt est le suivant : „Trois policiers arrêtés pour violences policières“ et dans L’Essentiel : „Accusés de violences, trois policiers arrêtés à Luxembourg“.
RTL a simplement décidé d’omettre l’allégation de violences policières et de lésions corporelles graves dans son titre. Et ce, alors qu’une lettre du parquet l’appelle ainsi. La violence policière est même relativisée en tant que „manipulation“ et la victime fait l’objet d’une attention négative : „3 policiers arrêtés pour avoir manipulé une personne en état d’ébriété“. Dans la plupart des articles RTL de la série, les faits sont simplement résumés par la phrase suivante : „Le contexte est la manipulation d’une personne en état d’ébriété, qui devrait être amenée en cellule le 20 mai 2023, pour être libérée.“ C’est assez minimaliste pour un média qui propose par ailleurs des articles plus longs incluant des galeries de photos pour chaque accident de la route.
Les détails sont divulgués - et ignorés par RTL.
Deux semaines plus tard, on apprenait que l’affaire avait été retracée : La victime a été livrée sans ménagement à trois policiers et l’acte a ensuite été couvert par un supérieur qui a fait réécrire le rapport. RTL a pris son temps, mais a réagi deux jours plus tard avec un reportage télévisé sur le „Cas de violence policière“. Sans donner de détails, le reportage résume d’abord les allégations du rapport du procureur. RTL présente ensuite son interlocuteur : la porte-parole du syndicat de la police.
Cette porte-parole est la première à rappeler que la présomption d’innocence s’applique et qu’on ne peut rien dire en soi tant que l’affaire n’est pas terminée. RTL explique ensuite, à l’aide d’un graphique, que la plupart des cas de violence policière présumée sont finalement rejetés par le tribunal. Le reportage dérive ensuite sur le sujet des „bodycams“ afin que la porte-parole du syndicat de la police puisse réitérer sa position : Il faut en faire plus pour protéger les agents.
Tactiques de diversion
Le 10 août, RTL revient sur ce sujet. De nouveau via une interview de la porte-parole du syndicat de la police. Le titre de l’émission diffusée plus tard sur RTL est : [„Un uniforme de police ne vaut rien“] : „Un uniforme de police ne vaut plus rien aujourd’hui, il y a un manque de respect“. RTL écrit : „Il n’est pas possible de dire avec certitude si la violence policière augmente ou non. En tout cas, en tant que policier, on est plus visible aujourd’hui et le respect de l’uniforme n’est certainement plus là.“ Et plus loin : „Comment naît la violence policière ? Elle ne voudrait pas dire que la violence policière naît de la frustration ou de la colère, mais simplement que l’uniforme de police ne vaut plus rien aujourd’hui“, jusqu’à ce que la “journaliste” de RTL Annick Goerens aborde le sujet de la criminalité dans l’interview.
L’article précise : „Il serait tout à fait possible que la criminalité ait augmenté parce qu’il y a maintenant beaucoup de citoyens étrangers qui se promènent dans la station en vendant de la drogue et parce que la population augmente aussi, selon Marlène Negrini“.
Plus tard dans la journée, la presse rapporte que des perquisitions ont été effectuées dans le cadre de l’enquête sur les policiers arrêtés : En raison de soupçons de trafic de drogue parmi d’autres policiers de la même unité. RTL met en ligne une copie du communiqué de presse du procureur. Il est difficile d’imaginer que la porte-parole du syndicat de la police n’ait pas su dans la matinée que cette perquisition avait eu lieu la veille et que la nouvelle serait bientôt diffusée dans les médias. Sa manœuvre de diversion médiatique, soutenue consciemment ou inconsciemment par RTL, arrive donc à point nommé.
Liberté pour la police !
Alors que d’autres médias se concentrent sur la question de la violence policière, la prochaine question de RTL porte principalement sur la question de savoir pourquoi les officiers de police sont toujours en détention provisoire. Les enquêtes sur les violences policières aboutissent à un „incident“, qui ne sera plus décrit à partir de ce moment.
Le prochain „invité de la rédaction“ à s’exprimer sur le sujet sera le ministre de la Police Henri Kox le 25 août. Le „journaliste“ de RTL François Aulner réussit l’acrobatie d’utiliser deux fois le mot „présumé“ dans une même phrase avant sa première question, de ne pas mentionner les accusations et de changer immédiatement de sujet pour parler des défis auxquels sont confrontés les policiers. Le ministre de la police accepte l’offre avec reconnaissance, déclarant que les „préoccupations et les problèmes des policiers“ devraient être „abordés avec respect dans la vie de tous les jours“. Il est dit que „les agressions dans la société ont augmenté“ et c’est le problème que le ministre de la police veut aborder. RTL a réussi à transformer un cas scandaleux de violence policière en une émission de propagande pour la police.
Une bonne réputation
Après la libération des policiers, l’enquête se poursuit. La question de savoir combien de temps les policiers devraient rester en détention provisoire est d’ailleurs la seule piste sur laquelle RTL enquête de manière indépendante et qui semble l’intéresser. À la mi-octobre, RTL a publié un rapport intitulé : „Allégations de violences policières : Pourquoi 4 policiers étaient-ils en détention préventive ?“. RTL y complète la liste des personnes autorisées à parler de l’affaire (syndicat de la police, ministre de la police) par : les avocats des policiers accusés. Il ne suffit pas que ces avocats soient autorisés à expliquer leur point de vue sans être confrontés, RTL leur donne même la possibilité de critiquer les autres médias qui ont couvert l’affaire : „L’avocat Jean-Marie Bauler estime lui aussi que l’affaire devrait être traitée de manière plus neutre. „Lorsqu’ils ont été placés en garde à vue, il y avait toujours quelque chose à lire sur eux dans les médias. Maintenant qu’ils sont sortis, il n’y a pratiquement plus rien.“ Quant aux allégations contre son client, il a travaillé au commissariat de la Gare pendant huit ans et avait également „une bonne réputation auprès de ses supérieurs“.
Si RTL TV peut conclure l’affaire avec la déclaration de l’avocat de l’accusé selon laquelle le policier avait une bonne réputation, personne ne doit s’inquiéter des nouvelles révélations qui ont été publiées une semaine plus tard. Il s’est avéré que le policier avait déjà envoyé le nom, la date de naissance et la photo de sa future victime à 13 collègues du bureau de police de la Gare deux mois avant l’incident, dans un e-mail qui se termine par les mots „La guerre est déclarée“.