Photo: World Trade Organization

Jacques Santer a su s’occuper avec brio de la CLT-UFA tout au long de sa carrière, et ce, depuis des postes étonnamment variés.

Début février, les photos de la rencontre de Luc Frieden, Jean-Claude Juncker et Jacques Santer ont été publiées dans la presse. Jacques Santer et Luc Frieden sont également liés par le fait que les deux hommes politiques du CSV ont occupé le poste de ministre des Médias en plus de celui de Premier ministre – et ce à un moment décisif pour les Luxembourgeois et l’histoire européenne des médias. Luc Frieden doit élaborer un plan pour l’avenir de RTL Luxembourg (CLT-UFA) au plus tard avant la fin de son mandat actuel, une tâche que Jacques Santer a déjà accomplie une fois en tant que Premier ministre et ministre des Médias, et une fois en tant que président du conseil d’administration de CLT-UFA.

À partir de 1984, Jacques Santer a été Premier ministre du Luxembourg et, à partir de 1989, également ministre des Médias et de la Culture. Il est resté brièvement à ce poste après les élections de 1994 et a signé le nouveau contrat de concession avec la CLT début 1995, avant de devenir président de la Commission européenne. Un regard sur les différentes étapes de la vie professionnelle de Jacques Santer montre à quel point cet autre homme politique luxembourgeois influent est étroitement lié à l’histoire de RTL.

Décisions fondamentales des années 90

Jacques Santer a été confronté à des défis majeurs en matière de politique médiatique au début des années 90. La libéralisation du marché des médias en Europe eut pour effet secondaire la chute du monopole de RTL au Luxembourg, du moins officiellement. La libéralisation était en réalité l’objectif principal de la CLT, car elle signifiait la chute des monopoles des médias publics dans tous les autres pays appartenant au marché intérieur. Le Luxembourg, cependant, était le seul pays à ne pas avoir de monopole d’État, mais un monopole privé. Paul Zimmer, le principal conseiller de Jacques Santer, parvint à négocier des fréquences supplémentaires pour le Luxembourg en 1984, en collaboration avec la CLT. Mais ces fréquences ne purent être intégralement attribuées à la CLT comme prévu. Une première loi sur les médias, conforme aux directives européennes, dut être adoptée en 1991, et un nouveau contrat de concession avec la CLT devait être négocié d’urgence. La perspective de la fin du monopole de la CLT n’attirait guère Gaston Thorn, alors directeur de la CLT et ancien Premier ministre : il ne souhaitait pas abandonner les recettes publicitaires qui auraient pu être reversées à la concurrence. Jacques Santer s’efforça de rendre le processus aussi acceptable que possible pour la CLT et la laissa pratiquement déterminer les conditions d’implantation de nouveaux médias au Luxembourg.

Pour apaiser davantage la CLT et préparer les négociations à venir, Jacques Santer remit à Jacques Rigaud, directeur général de la CLT, le prix de „Commandeur de la Couronne de Feuille de Chêne“ en 1990. Il s’agit d’ailleurs du même prix que Xavier Bettel remettrait à Liz Mohn, héritière de Bertelsmann, en 2016, avant même le début des négociations.

Parallèlement aux discussions sur le marché national des médias, l’accent était mis sur la conquête de marchés européens. Les nouvelles technologies, telles que la télévision par câble et par satellite, devaient être utilisées par la CLT le plus tôt possible. Sous Jacques Santer, le Luxembourg a constamment tenté d’obtenir une place pour la CLT sur les satellites français. Pour pallier cette dépendance, l’État a créé SES, et Jacques Santer a pu célébrer un succès en 1988 avec le lancement du satellite ASTRA 1. Le premier client du satellite, avant même la CLT, était Rupert Murdoch. Le Luxembourg a de nouveau été un pionnier des médias commerciaux, mais RTL n’était initialement pas intéressée. C’était une époque de grands projets, mais aussi de grandes désillusions : il devenait de plus en plus évident que la CLT se développait, mais produisait aussi à l’étranger et y payait une partie de ses impôts, au lieu de construire un „Hollywood luxembourgeois“ sur le terrain spécialement prévu à cet effet au Kirchberg. Il s’avéra que, bien que l’État ait tout fait pour aider la CLT, celle-ci, en tant qu’entreprise, ne cherchait qu’à maximiser ses profits. Quelle surprise ! L’État a également fait tout ce qu’il fallait à l’égard de la CLT, compte tenu de la loi sur les médias de 1991 et du nouveau contrat de concession finalement signé in extremis début 1995. L’orchestre a repris l’État, a acheté la Villa Louvigny à un prix bien trop élevé et a supprimé tous les frais.

Une Lutte contre le pluralisme des médias en Europe

Quoi qu’il en soit, Jacques Santer n’entendait plus de critiques concernant l’accord de concession final ; sa signature constituait pratiquement son dernier acte officiel en tant que Premier ministre luxembourgeois, avant son départ pour Bruxelles pour prendre ses nouvelles fonctions de président de la Commission européenne. Il se voyait manifestement occuper ce poste, à l’instar de Gaston Thorn et de Jean Dondelinger, et garder au moins un œil sur l’évolution du marché européen des médias en faveur de la CLT.

À la fin des années 1990, des discussions ont eu lieu à Bruxelles sur la manière de procéder concernant la libéralisation des médias. Dans de nombreux États membres, on craignait que le pluralisme des médias ne soit victime de la stratégie d’expansion des grandes entreprises. Telle était et demeure précisément la stratégie du groupe allemand Bertelsmann, qui, à l’époque, cherchait à bâtir un empire médiatique et, avec la CLT, à conquérir le marché télévisuel allemand dans le cadre du projet „RTL Plus“. À la Commission européenne, le commissaire italien Monti a présenté une proposition de compromis visant à introduire une restriction : les entreprises seraient autorisées à détenir une part de marché maximale de 30 % au niveau national. Une majorité au sein de la Commission européenne était favorable à cette proposition législative – et le Parlement européen l’exigeait également –, mais le président de la Commission, Jacques Santer, l’a finalement bloquée. Jacques Santer a été encouragé, entre autres, par le chancelier allemand Helmut Kohl. La politicienne luxembourgeoise du DP Colette Flesch, qui a été directrice du département Médias de la Commission de 1990 à 1999, a également influencé en ce sens, en soutenant la ligne de Jacques Santer et en défendant les intérêts de la CLT et de Bertelsmann. Dans un article publié plus tôt cette année sur la politique européenne des médias, Süddeutsche, se concentrant plus particulièrement sur la situation en Hongrie, affirme qu’à l’heure actuelle, sous la responsabilité de Jacques Santer, les bases d’une série de problèmes pour le pluralisme des médias ont été posées (https://www.sueddeutsche.de/medien/kohls-geschenk-an-die-konzerne-medienpolitik-eu-1.6331532?reduced=true).

Un Bertelsmann jusqu’au bout des ongles

Ce fut certainement la plus grande faveur de Jacques Santer à Bertelsmann, mais loin d’être la seule. Ainsi, contre la majorité des membres de la Commission, Jacques Santer a défendu le projet de fusion entre Bertelsmann et Kirch (Sat1) (https://taz.de/Bertelsmann-laesst-Kirch-im-Regen-stehen/!1342653/), qui n’a finalement pas abouti. Jacques Santer est également présent lors des événements Bertelsmann, par exemple en 1996 et en 1998 au Forum Bertelsmann, c’est-à-dire alors qu’il est le président actif de la Commission européenne. Dans son discours de 1998, il ne laisse aucun doute sur son adhésion aux idées de l’entreprise](https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/SPEECH_98_151). En 1999, Jacques Santer a mis fin à sa présidence de l’UE, lorsque l’ensemble de sa Commission a dû démissionner suite à plusieurs scandales de corruption.

Jacques Santer n’avait pas encore songé à la retraite. Il a siégé à plusieurs conseils d’administration. En 2004, il a remplacé Gaston Thorn à la présidence du conseil d’administration de la CLT-UFA. Jacques Santer est également devenu membre du conseil d’administration de RTL Group en 2005. Pour CLT-UFA, Jacques Santer a signé le contrat de concession avec l’État luxembourgeois en 2017, peu avant son 80e anniversaire et avant de céder son poste à Jean-Louis Schiltz. Dans une interview accordée à Paperjam, il revient sur sa carrière et déclare : „Pour moi, et je ne suis pas le seul, le plus important a été que RTL soit définitivement ancré dans le paysage audiovisuel luxembourgeois et international.“ Il ne précise pas s’il fait référence à son mandat de Premier ministre luxembourgeois, de président de la Commission européenne ou de président de CLT-UFA. Ou aux trois fonctions réunies.